L’île de La Réunion est un département d’outre-mer français qui bénéficie d’une grande autonomie. Beaucoup de touristes s’y rendent pour randonner, faire de la plongée et découvrir la culture créole unique. En 1980, au mois de novembre, j’ai été affecté à la brigade territoriale de gendarmerie de Saint-André.
Après onze heures d’avion, je débarque avec ma famille à l’aéroport de Saint-Denis, chef-lieu du département. Le contraste important de la température nous met devant la réalité du terrain et dans l’ambiance de l’île. Les moustiques réunionnais nous réservent un accueil chaleureux. L’installation a lieu dans un logement équipé uniquement de meubles en fer. Les margouillats (petits lézards nocturnes) courent sur les murs et les plafonds de toutes les pièces (bestioles utiles pour l’élimination des moustiques). Sur le sol recouvert d’un lino uni, on entend le craquement des cancrelats écrasés lors de nos déplacements. Le commandant de brigade nous indique que nous logeons là seulement pour deux mois, avant d’intégrer un autre appartement situé à l’étage, plus confortable et moins envahi d’insectes. Cette annonce nous rassure.
Anecdote 1
En qualité d’officier de police judiciaire, je viens renforcer une équipe composée de deux gradés et de huit gendarmes, dont deux sont Réunionnais. Le premier jour de travail, je mets à jour les mémentos déposés pêle-mêle sur la table qui deviendra mon bureau. Le lendemain, je suis planton. Cette mission consiste à recevoir le public, les plaintes et répondre aux appels téléphoniques. Le matin même, depuis ma fenêtre qui donne directement sur l’entrée principale de la brigade, je constate la présence de nombreuses personnes en file indienne munies d’un parapluie leur servant de parasol. Je réalise ce qui m’attend et une certaine anxiété m’envahit. Je décide donc de venir au bureau avec un temps d’avance pour me préparer à cette première rencontre avec certains habitants de cette ville de 40 000 habitants. À l’ouverture des bureaux, à 8 heures précises, la première personne me fait un signe discret de la main et m’expose brièvement son problème sans que je le comprenne. Le parler créole est pour moi une langue inconnue, inaudible. Je fais répéter plusieurs fois la personne mais en vain. S’agissant d’un département français, je n’avais pas intégré cet obstacle de communication. Les collègues sont partis en patrouille, les gradés sont dans leur bureau occupés aux tâches administratives. Je me sens seul, abandonné à ma mission devant cette file d’attente qui ne cesse de croître. Le téléphone sonne sans arrêt. Je suis impuissant devant cette multitude de sollicitations. Je suis débordé, cependant je ne panique pas. Les plaignants ayant compris la situation restent calmes et font preuve de beaucoup de mansuétude à mon égard. Silencieux, debout ou assis, ils attendent patiemment dans l’allée ombragée. Outre ce problème de langue, la chaleur accablante me plonge dans une atmosphère lourde à supporter. Ajouter à cela que je suis l’unique cible des moustiques voraces qui ne cessent de me harceler ! Il est 9 heures, deux gendarmes font irruption dans la salle d’accueil. Je suis soulagé. Ils m’accompagnent à tour de rôle dans ma mission. J’accomplis les tâches d’une manière à ce que tout soit fait dans les conditions optimales. Dans ce contexte professionnel, la signature demandée se limite pour certaines personnes à apposer leur pouce ou faire une croix sous leur nom (acte inhabituel pour moi). Ma journée s’achève, il est 18h30, je suis épuisé.
Anecdote 2
Je prends contact dans le cadre d’une enquête judiciaire avec un entrepreneur de travaux publics. Nous sommes sur le parking de l’entreprise à l’ombre d’un filao. Un client se présente et s’adressant au chef d’entreprise il lui demande un devis pour des travaux. Après quelques échanges, l’artisan prend une branche tombée de l’arbre et commence une opération dans un tas de sable situé à proximité. Plusieurs chiffres s’inscrivent d’une façon précise et nette dans ce sable servant de support éphémère. Plusieurs calculs sont faits simplement. Les chiffres s’alignent avec rapidité, les résultats s’ajoutent les uns aux autres avec clarté. Le montant final est souligné par deux traits parallèles. Le client accepte le devis avec un hochement de tête. Les deux hommes se donnent une tape dans la main, ce qui me laisse penser que le projet est accepté. Je conclus que cette pratique basée sur la confiance, la rapidité et l’efficacité est une méthode non conventionnelle qui peut fonctionner sans problème et qui, en plus, est non polluante.
Anecdote 3
Dans le cadre de notre travail de gendarme, de nombreuses personnes sont contactées pour des raisons diverses. Nous, les « Zoreilles » venant de métropole, nous sommes bien reçus et respectés par les multiples ethnies. Nous sommes invités quel que soit l’évènement : mariage, anniversaire, communion, fête religieuse, marche sur le feu, etc. J’ai répondu à une invitation pour la première fois. De grandes tables recouvertes de feuilles de bananiers sont dressées devant la maison à l’ombre des filaos. Nous sommes une vingtaine par tables installées sur plusieurs rangées. Nos hôtes nous demandent de nous asseoir pour être servis. Les feuilles de bananiers font office d’assiette. Il n’y a pas de couvert, seul un verre placé devant la feuille verte nous indique la place à prendre. Aussitôt assis, aussitôt servis. Deux personnes tenant une grosse marmite passent nous servir le plat emblématique de l’île, touche d’authenticité et de saveurs de La Réunion, le massalé. Ce plat reflète la richesse culturelle locale avec ses influences indiennes, africaines et françaises. C’est un plat traditionnel accompagné de riz, de légumes et de riches saveurs. Un Créole nous invite à l’imiter en prenant la nourriture avec les doigts. C’est une bonne expérience de découvrir une nouvelle façon de manger ; c’est un moyen de partage et de rapprocher les gens. Nous passons un bon moment dans une ambiance festive sans rencontrer nos hôtes et sans pouvoir les remercier. C’est ainsi que ça se passe sur l’île de La Réunion.
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